7
Abandon d’un vieil ami

 

 

Le géant n’était qu’à quelques pas. Josi Petitemares le vit arriver trop tard. Il essaya de se cacher dans un renfoncement du mur mais Wulfgar l’attrapa aussitôt. Il le souleva d’une main et repoussa de l’autre ses faibles tentatives de frappe.

Puis soudain, « blam », Josi fut plaqué contre la paroi.

— Rends-le-moi, dit calmement le barbare.

L’expression et la sérénité que dégageait la voix de Wulfgar étaient peut-être plus effrayantes que tout pour le pauvre Josi.

— Que… qu’est-ce que tu ch… cherches ? bégaya-t-il.

Toujours d’un seul bras, Wulfgar écarta Josi du mur et l’y plaqua violemment une deuxième fois.

— Tu le sais très bien, dit-il. Et je sais que c’est toi qui l’as pris.

Josi haussa les épaules et secoua la tête, ce qui ne lui valut qu’un nouveau choc contre le mur.

— Tu as pris Crocs de l’égide, précisa Wulfgar, son visage haineux désormais tout près de celui de Josi. Si tu ne me le rends pas, je te brise en morceaux et je me sers de tes os pour me confectionner une nouvelle arme.

— Je… je… je l’ai emprunté…, bafouilla Josi, qui fut interrompu par un choc supplémentaire contre le panneau de bois. Je pensais que tu allais tuer Arumn ! Je pensais que tu allais tous nous tuer !

Cette idée curieuse calma quelque peu Wulfgar.

— Tuer Arumn ? répéta-t-il, incrédule.

— Quand il t’a mis à la porte. Je savais qu’il allait te renvoyer ; il me l’avait dit pendant que tu dormais. J’ai cru que tu serais si furieux que tu le tuerais.

— Alors tu as pris mon marteau de guerre ?

— Oui, avoua Josi. Mais je comptais te le rendre. J’ai essayé de le retrouver.

— Où est-il ?

— Je l’ai donné à un ami, qui l’a confié à une navigatrice pour qu’il reste hors de portée de ton appel. J’ai essayé de le reprendre mais elle n’a pas voulu. Elle a essayé de m’écrabouiller la tête, je te jure !

— Qui c’est ?

— Sheila Kree, de la Dame bondissante, lâcha Josi. C’est elle qui le détient et elle compte bien le garder.

Wulfgar demeura silencieux un moment, occupé à digérer cette information et à en évaluer la portée, puis il toisa Josi, l’air plus mauvais encore.

— Je n’aime pas les voleurs, grogna-t-il.

Il secoua Josi et, quand celui-ci essaya de résister et même de le frapper, le barbare l’écarta du mur et l’y plaqua de nouveau, une, puis deux fois.

— Chez moi, on lapide les voleurs, gronda-t-il, écrasant encore Josi contre la paroi, si fort que le bâtiment en fut ébranlé.

— Et à Luskan, on met les brutes en prison, ajouta quelqu’un.

Wulfgar et Josi tournèrent la tête et virent Arumn Gardpeck sortir de son établissement, accompagné de plusieurs autres hommes. Ces derniers restèrent cependant en retrait, clairement peu désireux d’affronter Wulfgar, tandis qu’Arumn, une massue en main, s’approchait prudemment.

— Lâche-le, dit l’aubergiste.

Wulfgar plaqua une dernière fois Josi contre la paroi avant de le reposer à terre et de le secouer, sans pour autant le laisser partir.

— Il m’a volé mon marteau de guerre et j’ai bien l’intention de le récupérer !

Arumn jeta un regard noir à Josi, qui se défendit en gémissant :

— J’ai essayé mais Sheila Kree – oui, c’est elle qui l’a – ne veut pas le rendre.

Wulfgar secoua encore Josi, dont les dents se heurtèrent les unes aux autres dans sa bouche.

— Elle le possède parce que tu le lui as donné ! lui rappela le colosse.

— Il a essayé de le récupérer, intervint Arumn. Il a fait tout ce qu’il a pu et tu comptes tout de même lui casser la figure pour ça ?
Te sentiras-tu mieux après, Wulfgar la brute ? C’est en tout cas certain que ça ne te rendra pas ton marteau.

— Ça me ferait vraiment du bien, reconnut-il, après avoir jeté un regard agressif sur Arumn, puis sur Josi, qui parut alors se ratatiner, tremblant de tous ses membres.

— Alors il te faudra aussi t’en prendre à moi, déclara Arumn. Josi est mon ami, comme je pensais que tu l’étais, et je suis prêt à me battre pour le défendre.

Ces paroles firent ricaner le barbare, qui, d’une simple pichenette, envoya Josi s’étaler aux pieds du tavernier.

— Il t’a dit où trouver ton marteau, insista ce dernier.

Sur ces mots, Wulfgar s’éloigna et vit, quand il se retourna, quelques instants plus tard, Arumn aider Josi à se relever puis, une main sur les épaules de son ami, le guider vers Le Coutelas.

Cette dernière vision, une scène d’amitié véritable, le troubla profondément car il avait déjà connu un tel sentiment. Il avait autrefois eu la chance d’être entouré de compagnons qui n’avaient jamais hésité à voler à son secours, malgré des chances de succès réduites. Des images de Drizzt, Bruenor, Régis, Guenhwyvar et surtout Catti-Brie se mirent à défiler dans son esprit.

La part la plus sombre de Wulfgar lui rappela aussitôt que ce n’était qu’un mensonge. Il ferma les yeux et tituba, manquant de peu de tomber par terre. Il existait des endroits où aucun ami ne pouvait le suivre, des horreurs qu’aucune amitié n’était en mesure de soulager. L’amitié n’était qu’un mensonge, une façade dressée par ce besoin de sécurité, si humain et en fin de compte plutôt enfantin, cette nécessité de s’envelopper de faux espoirs. Il savait tout cela car il en avait vu l’absurdité, la bien sinistre vérité.

À peine conscient de ce qu’il faisait, Wulfgar se précipita sur la porte du Coutelas, qu’il ouvrit avec tant de violence que les personnes présentes levèrent toutes la tête. Ayant rejoint Arumn et Josi d’une seule enjambée, le barbare écarta sans la moindre difficulté le gourdin de l’aubergiste, puis il gifla Josi, qui se retrouva au sol, un bon mètre plus loin.

Arumn revint à la charge en agitant sa massue mais Wulfgar se saisit d’une main de l’arme, qu’il arracha à Arumn avant de le repousser. Il brandit ensuite le bâton de bois devant lui, une extrémité dans chaque main, et, contractant soudain son cou de taureau et ses épaules massives, il le brisa en deux.

— Pourquoi fais-tu ça ? lui demanda Arumn.

Wulfgar ne trouva rien à répondre, d’ailleurs il ne chercha pas vraiment. Dans ses pensées tourbillonnantes, il estimait avoir remporté une victoire, certes modeste, sur Errtu et ses démons. Il venait de renier le mensonge qu’était l’amitié et, ce faisant, avait écarté l’une des armes d’Errtu, ô combien efficace, et dont la créature ne pourrait plus se servir contre lui. Il jeta les débris de bois par terre et sortit sans se presser du Coutelas, sachant qu’aucun de ses persécuteurs n’oserait le suivre.

Il grommelait encore, marmonnant des jurons adressés à Errtu, Arumn et Josi Petitemares quand il atteignit les quais. Alors qu’il allait et venait sur la longue jetée, ses lourdes bottes claquant sur les planches, il fut abordé par une vieille femme :

— Hé, toi, qu’est-ce que tu cherches ?

— La Dame bondissante, répondit-il. Où est ce navire ?

— Le bateau de cette Kree ? répondit l’inconnue, davantage pour elle-même que pour le barbare. Oh ! Il est parti. Et toutes voiles dehors, encore, vu comme il redoute celui-là.

Et l’inconnue de pointer du doigt la sombre silhouette d’un vaisseau élancé amarré à l’autre bout de l’interminable quai.

Sa curiosité attisée, Wulfgar s’approcha de ce bâtiment, dont il remarqua les trois voiles, en particulier la dernière, triangulaire, une forme qu’il n’avait encore jamais vue.

Tout en avançant, il se remémora les récits relatés par Drizzt et Catti-Brie et ne tarda pas à comprendre. L’Esprit follet de la mer.

Wulfgar se raidit, ses pensées confuses soudain calmées par la seule évocation de ce nom. Il laissa son regard dériver du nom du navire jusqu’au bastingage, où il aperçut un marin qui ne le quittait pas des yeux.

— Wulfgar ! s’exclama Waillan Micanty. Salut à toi !

Le géant fit demi-tour et s’éloigna d’un pas lourd.

 

* * *

 

— Peut-être nous cherchait-il ? hasarda le capitaine Deudermont.

— Il était sans doute simplement perdu, répondit Robillard, sceptique. D’après Micanty, ce barbare a paru surpris quand il a vu l’Esprit follet de la mer.

— Impossible d’en être certain, persista Deudermont, qui se dirigea vers la porte de la cabine.

— Je dirais plutôt qu’il n’est pas nécessaire d’en être certain, répliqua le magicien, qui agrippa le capitaine par le bras pour l’arrêter. (Deudermont s’immobilisa net et se retourna, soutenant le regard inflexible de Robillard, qui poursuivit :) Ce n’est pas votre enfant ! Vous le connaissez à peine, vous n’êtes en rien responsable de lui.

— Drizzt et Catti-Brie sont mes amis. Ce sont nos amis et Wulfgar est leur ami. Devons-nous ne pas en tenir compte parce que ça nous arrange ?

Contrarié, le magicien lâcha le bras de son supérieur.

— Pour notre sécurité, capitaine, rectifia-t-il. Pas parce que ça nous arrange.

— Je vais le retrouver.

— Vous avez déjà essayé et avez été sommairement rejeté.

— Il est pourtant venu jusqu’à nous la nuit dernière, peut-être justement parce qu’il regrettait ce refus.

— Ou parce qu’il s’était perdu sur les quais.

Deudermont hocha la tête, admettant que cette possibilité n’était pas à exclure.

— Nous ne le saurons jamais si nous ne retournons pas le voir pour le lui demander, dit-il en reprenant la direction de la porte.

— Envoyez quelqu’un d’autre, lâcha soudain Robillard, qui venait de songer à cette éventualité. Envoyez M. Micanty, peut-être. Ou même moi, je peux y aller.

— Wulfgar ne te connaît pas, pas plus que Micanty.

— Il se trouve certainement des membres de l’équipage qui étaient présents lors de ce voyage, il y a si longtemps, insista le magicien entêté. Des hommes qui le connaissent.

Deudermont secoua la tête, la mâchoire serrée.

— L’Esprit follet de la mer ne compte à son bord qu’un seul homme en mesure de toucher Wulfgar, assura-t-il. Je retournerai le voir, puis encore une fois si c’est nécessaire, avant que nous reprenions la mer.

Sur le point de réagir, Robillard comprit l’inutilité de ses paroles et leva les mains en signe de reddition.

— Vous ne trouverez aucun allié dans les rues du quartier du port de Luskan, capitaine, lui rappela-t-il tout de même. Méfiez-vous de chaque ombre, d’où un danger peut surgir à tout instant.

— Je suis prudent, comme je l’ai toujours été, répondit-il avec un sourire, qui s’élargit quand Robillard s’approcha et lui lança quelques enchantements capables de faire exploser ou dévier des projectiles, ainsi qu’un sort lui permettant de procéder à certaines attaques magiques.

— Prenez garde de ne pas dépasser le temps d’action de ces sorts, l’avertit le magicien.

Deudermont acquiesça, appréciant les précautions prises par son ami, puis sortit de la cabine.

Robillard se laissa aussitôt tomber sur une chaise et considéra sa boule de cristal, songeant à l’énergie qu’il lui faudrait déployer pour la faire fonctionner.

— Que d’efforts inutiles, soupira-t-il, exaspéré. Pour le capitaine comme pour moi. Des efforts inutiles pour un rat d’égout qui ne le mérite pas.

La nuit s’annonçait longue.

 

* * *

 

— Tu en as besoin à ce point ? osa demander Morik.

Au vu de l’humeur sinistre de Wulfgar, le voleur était conscient de prendre un risque réel en posant cette simple question. Le géant ne se donna même pas la peine de répondre à cette absurdité, cependant le regard qu’il décocha à son ami parla de lui-même.

— Ce doit être une arme extraordinaire, alors, se reprit ce dernier, avant de changer aussitôt de sujet pour faire oublier sa pensée sacrilège.

Morik n’ignorait bien entendu rien de Crocs de l’égide, splendide arme parfaitement forgée qui convenait idéalement aux puissantes mains du barbare. Guidé par son esprit pragmatique, le voleur n’y voyait toutefois pas une raison suffisante pour justifier un périple en mer, à la poursuite de la bande de truands de Sheila Kree.

Il songea que c’était peut-être une question de sentiment ; peut-être son ami était-il attaché pour des raisons personnelles à ce marteau de guerre. Son père adoptif le lui avait façonné, après tout. Crocs de l’égide était peut-être l’unique souvenir restant de sa vie d’autrefois, le seul rappel de ce qu’il avait été. Morik n’osa pas émettre cette hypothèse à haute voix ; le fier barbare, même s’il était possible qu’il soit de son avis, ne l’aurait certainement jamais reconnu et l’aurait peut-être même projeté dans les airs pour avoir seulement soulevé cette idée.

— Peux-tu t’occuper de ça ? demanda encore Wulfgar, impatient.

Il souhaitait que Morik déniche un vaisseau suffisamment rapide et commandé par un capitaine suffisamment expérimenté pour rattraper Sheila Kree, peut-être la suivre discrètement jusqu’à son escale suivante ou simplement s’en approcher d’assez près pour permettre à Wulfgar, grâce à une chaloupe, d’aborder en silence et dans l’obscurité nocturne ce navire. Il ne cherchait en revanche pas d’hommes de main pour récupérer son arme, une fois conduit sur le vaisseau de la pirate – c’était d’après lui inutile.

— Et si on demandait à ton ami capitaine ? répondit Morik. (Wulfgar jeta un regard incrédule à son ami.) L’Esprit follet de la mer de Deudermont est le plus fameux traqueur de pirates de la côte des Épées. S’il existe un navire à Luskan capable de rattraper Sheila Kree, c’est bien l’Esprit follet de la mer. D’après la façon dont le capitaine Deudermont t’a salué, je parie qu’il serait d’accord.

— Trouve un autre vaisseau, lâcha Wulfgar, incapable de réagir directement à la proposition de Morik.

Celui-ci l’observa un long moment avant d’acquiescer.

— Je vais essayer, promit-il.

— Tout de suite. Avant que la Dame bondissante se soit trop éloignée.

— Je te rappelle qu’on a un boulot…

Quelque peu à court de monnaie, les deux hommes avaient accepté d’aider cette nuit-là un aubergiste à décharger d’un navire une cargaison de bétail abattu.

— Je m’occupe de débarquer la viande, proposa Wulfgar.

Ces mots résonnèrent comme une douce musique aux oreilles de Morik, qui n’avait jamais apprécié les emplois honnêtes. Il n’avait pas la moindre idée de la façon dont il devait s’y prendre pour affréter un vaisseau capable de rattraper Sheila Kree, néanmoins il préférait de loin chercher une solution à ce problème, et peut-être piocher dans quelques poches au passage, que transpirer sous la puanteur de tonnes de viande salée.

 

* * *

 

À travers sa boule de cristal, Robillard observait Deudermont remonter une large avenue bien éclairée sur laquelle patrouillaient nombre de gardes de la cité, dont beaucoup s’arrêtaient pour saluer et féliciter le capitaine. Le magicien devinait leurs paroles même s’il ne les entendait pas, sa boule de cristal transmettant les images mais pas le son.

Il fut tiré de sa concentration quand quelqu’un frappa à la porte ; l’image dans la boule se voila aussitôt en un gris brumeux. Bien que capable d’immédiatement faire réapparaître la scène, il estima que Deudermont ne courait aucun danger en cet instant précis, en particulier grâce aux multiples sorts défensifs qu’il avait lancés sur son capitaine. Malgré cela, et parce qu’il préférait rester seul, il répondit sur un ton bourru.

— Allez-vous-en ! cria-t-il, avant de se verser une boisson forte.

D’autres coups sur la porte, cette fois plus insistants.

— Il faut que vous veniez, maître Robillard, dit une voix que le magicien reconnut.

En bougonnant, sa chope à la main, Robillard ouvrit la porte et se retrouva face à un marin, lequel regardait par-dessus son épaule, en direction du bastingage, non loin de la passerelle d’embarquement.

Waillan Micanty et un autre membre de l’équipage y étaient accoudés et, le regard dirigé vers le quai, s’entretenaient visiblement avec quelqu’un.

— Nous avons un invité, expliqua le marin à Robillard, qui songea aussitôt à Wulfgar.

Ne sachant pas lui-même s’il s’agissait là d’une bonne ou mauvaise chose, il commença à avancer sur le pont, puis il se retourna et revint fermer la porte de sa cabine, sous le nez du marin un peu trop curieux.

— Tu ne monteras pas tant que maître Robillard n’aura pas donné son accord, dit Micanty, à qui l’inconnu supplia de se montrer plus discret.

Quand il eut rejoint Micanty, le magicien baissa les yeux et aperçut une silhouette quelque peu pitoyable, blottie sous une couverture, détail révélateur puisque la nuit était loin d’être froide.

— Il veut parler au capitaine Deudermont, expliqua Waillan Micanty.

— Je vois ça, répondit Robillard, avant de s’adresser au nouveau venu. Nous n’allons tout de même pas laisser tous les vagabonds qui passent par ici monter à bord sous prétexte qu’ils veulent parler au capitaine Deudermont.

— Vous ne comprenez pas, répondit l’inconnu, à voix basse et sans cesser de regarder autour de lui avec nervosité, comme s’il craignait de voir un assassin fondre sur lui à tout moment. J’ai des informations qui devraient vous intéresser. Mais je ne peux rien vous dire ici. Pas alors qu’on risque de m’entendre.

— Laisse-le monter, ordonna Robillard à Micanty.

Ce dernier lui jetant un regard sceptique, le magicien le lui rendit avec une expression qui rappela à Micanty à qui il s’adressait et qui, d’autre part, assurait que Robillard estimait absurde d’imaginer que cet insignifiant petit homme puisse créer des problèmes face à ses puissants pouvoirs magiques.

— Je vais le recevoir dans mes quartiers, précisa-t-il alors qu’il s’éloignait.

Quelques instants plus tard, Waillan Micanty fit entrer le vagabond tremblotant dans la cabine de Robillard. Plusieurs autres marins, curieux, passèrent la tête dans l’encadrement de la porte, mais Micanty, sans attendre la permission du magicien, referma le battant.

— Vous êtes Deudermont ? demanda le petit homme.

— Non, reconnut Robillard. Mais sois certain que tu n’approcheras personne de plus proche de lui que moi.

— Je dois voir Deudermont.

— Comment t’appelles-tu ? s’enquit le magicien.

— Je dois parler à Deudermont, c’est tout, insista l’inconnu, après avoir secoué la tête. Mais je viens de la part de quelqu’un d’autre, si vous me suivez.

N’ayant jamais été très patient, Robillard ne suivait rien du tout. Il tendit un doigt et envoya une décharge énergétique qui repoussa son vis-à-vis en arrière.

— Ton nom ? demanda-t-il encore avant de lancer un nouvel éclair, voyant que l’homme hésitait. Je t’assure que j’en ai encore beaucoup d’autres pour toi.

Le vagabond fit mine de se diriger vers la porte mais reçut en plein visage une bourrasque de vent magique qui manqua de peu de l’assommer et le retourna vers le magicien.

— Ton nom ? répéta ce dernier, sans se départir de son calme.

— Josi Petitemares, laissa échapper Josi avant de songer à s’inventer un autre nom.

Robillard médita quelques instants sur cette réponse, un doigt sur le menton, puis il se carra dans son siège et prit une pose pensive.

— Je vous écoute, monsieur Petitemares.

— C’est au sujet du capitaine Deudermont, dit Josi, incapable de résister davantage. Ils cherchent à le tuer. Il y a beaucoup de pièces d’or sur sa tête.

— Qui ?

— Un homme immense, répondit Josi. Un géant nommé Wulfgar et Morik le Rogue, son ami.

— Comment as-tu appris cela ? demanda Robillard, qui avait parfaitement dissimulé son étonnement.

— Tout le monde le sait dans les rues. Tout le monde cherche à tuer Deudermont pour toucher les dix mille pièces d’or, d’après ce qu’on dit.

— Quoi d’autre ? poursuivit le magicien, d’une voix qui se faisait menaçante. (Josi haussa les épaules, jetant des regards furtifs dans la pièce.) Pourquoi es-tu venu nous trouver ?

— Je pensais qu’il fallait vous prévenir. En tout cas, je sais que j’aimerais bien être mis au courant si des gens de la trempe de Wulfgar et Morik se mettaient en tête d’avoir ma peau.

Robillard hocha la tête et gloussa.

— Tu as pris la peine de venir jusqu’ici, devant un vaisseau – un traqueur de pirates – craint par les pires canailles des quais, simplement pour prévenir un homme que tu n’as jamais vu, tout en sachant pertinemment que tu cours un danger mortel en agissant de la sorte. Excuse-moi, mon cher Josi Petitemares, mais il y a comme une légère incohérence dans ton discours.

— J’ai pensé qu’il fallait vous avertir, c’est tout, répéta Josi, les yeux baissés.

— Ce n’est pas mon avis, dit Robillard, toujours aussi posé. (Josi leva la tête vers lui, effrayé.) Combien tu veux ?

Josi afficha un air étonné.

— Quelqu’un de plus malin aurait marchandé avant d’offrir son information, poursuivit Robillard. Mais nous ne sommes pas des ingrats. Cinquante pièces d’or te suffiront-elles ?

— Euh… oui, bégaya Josi, avant de se reprendre. Enfin, non. Pas vraiment. C’est-à-dire que je pensais plutôt à cent.

— Tu es un redoutable négociateur, Josi Petitemares, dit Robillard, qui adressa un signe de la tête à Micanty afin de calmer ce dernier, qui s’agitait de plus en plus. Ton information nous sera très utile, si tu ne mens pas, bien entendu.

— Non, monsieur, jamais !

— Va pour cent pièces d’or, dans ce cas. Reviens demain, tu pourras parler au capitaine Deudermont et tu seras payé.

— Je préfère ne pas revenir, si ça ne vous dérange pas, maître Robillard, dit Josi, dont le regard s’affolait.

— Bien sûr ! gloussa Robillard, qui ouvrit une bourse qu’il conservait suspendue autour du cou, avant d’en sortir une clé, qu’il lança à Waillan Micanty. Occupe-toi de ça. Tu trouveras la somme convenue en bas du casier de gauche. Paie M. Petitemares en pièces de dix, raccompagne-le à la passerelle de notre fier navire et charge deux hommes de le reconduire en sécurité hors du port.

S’il n’en croyait pas ses oreilles, Micanty n’avait pas pour autant l’intention de contester les décisions du dangereux magicien. Il prit Josi Petitemares par le bras et sortit de la cabine.

Quand il fut de retour, peu après, il trouva Robillard penché sur sa boule de cristal, dont il examinait l’image avec attention.

— Vous croyez donc ce qu’il nous a dit, dit-il. Au point de le payer sans la moindre preuve.

— Cent pièces de cuivre ne constituent pas une somme trop importante, répondit le magicien.

— De cuivre ? Elles sont en or, je les ai bien vues.

— Elles en ont en effet l’apparence mais elles sont en cuivre, je te l’assure. Ce sont en outre des pièces dont je peux facilement suivre la trace, ce qui me permettra de ne pas perdre de vue notre M. Petitemares. Je pourrai ainsi le châtier si c’est nécessaire, ou le récompenser convenablement si son information se révèle authentique.

— Il n’a même pas songé à réclamer une récompense, fit remarquer Micanty, observateur. Ce n’est d’autre part certainement pas un ami du capitaine Deudermont. Non, à mon avis, notre ami Petitemares n’est pas particulièrement épris de Wulfgar ou de ce Morik.

Après un dernier regard à sa boule de cristal, Robillard recula sur son siège et se mit à réfléchir.

— Avez-vous retrouvé le capitaine ? osa demander Waillan.

— Oui, répondit le magicien. Viens voir ça.

Micanty s’approcha et vit la scène diffusée par la boule de cristal passer des rues de Luskan à un vaisseau, quelque part en pleine mer.

— Le capitaine ? s’inquiéta-t-il.

— Non, non. Wulfgar, peut-être, ou du moins son marteau de guerre magique. Je connais cette arme car elle m’a été précisément décrite. Je me suis donc concentré dessus, pensant que cela me permettrait de voir Wulfgar, mais ma recherche magique a abouti à ce navire, la Dame bondissante.

— Pirate ?

— Probablement. Si Wulfgar se trouve à son bord, nous finirons sans doute par retrouver cet homme. Mais dans ce cas, l’histoire de notre ami Petitemares perd de sa vraisemblance.

— Pouvez-vous contacter le capitaine ? demanda Micanty, toujours préoccupé. Et le faire revenir ici ?

— Il ne m’écouterait pas. Cet entêté doit découvrir certaines choses par lui-même. Je le surveille de près. Occupe-toi de la sécurité à bord, double la garde, triple-la si nécessaire, et dis à chaque homme de se méfier des ombres. Si certains bandits sont déterminés à assassiner le capitaine Deudermont, ils ont tout lieu de penser qu’il est ici.

Quand il fut de nouveau seul, Robillard retourna à sa boule de cristal et fit réapparaître l’image du capitaine Deudermont… et poussa un soupir de désarroi. Il s’y était attendu, mais tout de même, il ne se réjouissait guère de voir son supérieur se diriger de nouveau vers le quartier le plus malfamé de la ville. Alors que le magicien se concentrait sur lui, Deudermont passa sous la pancarte de la rue Demi-Lune.

 

* * *

 

S’il avait été en mesure de visionner une zone plus étendue, peut-être Robillard aurait-il vu deux silhouettes se glisser dans une ruelle parallèle à celle dans laquelle Deudermont venait de s’engager. Le Requin et Tia-nicknick se précipitèrent et coupèrent par une allée qui débouchait sur la rue Demi-Lune, juste à côté du Coutelas. Ils s’engouffrèrent sans plus attendre dans l’auberge, convaincus que c’était à cet endroit que se rendait leur cible. Ils s’installèrent à la table du coin, à droite de la porte, après en avoir chassé deux clients grâce à quelques grognements chargés de menaces. Une fois assis, ils commandèrent des boissons à Delly Curtie, puis leurs sourires suffisants s’élargirent quand le capitaine Deudermont franchit le seuil de la porte et se dirigea vers le bar.

— Il reste pas longtemps si pas Wulfgar, dit Tia-nicknick.

Le Requin commença par déchiffrer ces mots, puis l’idée qu’ils formaient, avant de hocher la tête. Il avait pour sa part une idée de l’endroit où devaient se trouver Wulfgar et Morik, un de ses complices les ayant repérés sur les quais un peu plus tôt ce soir-là.

— Ne le quitte pas des yeux, ordonna-t-il à son compère.

Il sortit de sa poche une bourse préparée à l’avance et s’apprêta à partir.

— Trop facile, lâcha Tia-nicknick, se plaignant de nouveau du plan élaboré par son partenaire quelques heures plus tôt.

— C’est justement pour ça que c’est beau, mon ami, répondit le Requin. Morik est trop effronté et curieux pour ne pas mordre à l’hameçon. Non, il va tomber dans le piège, c’est sûr, et il va d’autant plus vite nous rejoindre.

Sur ces mots, le malfrat sortit dans la nuit et balaya la rue du regard. Il n’eut aucune difficulté à repérer l’un des nombreux enfants des rues cachés dans les environs et qui servaient fréquemment à faire le guet ou transmettre des messages.

— Hé ! Gamin ! appela-t-il. (Le garçon, qui ne devait pas avoir plus de dix printemps, le considéra avec un air suspicieux sans approcher.) J’ai un boulot pour toi.

Voyant ce pirate à l’allure effrayante brandir une bourse, l’enfant fit quelques pas hésitants.

— Prends ça, dit le Requin en tendant le sachet au garçon, qui commença à l’ouvrir. Ne regarde pas à l’intérieur !

Le voyou changea d’avis presque aussitôt, estimant que ce garçon pouvait s’imaginer que cette bourse contenait quelque chose de spécial – de l’or ou un artefact magique – et décider de s’enfuir avec. Il la reprit donc et l’ouvrit, révélant ainsi son contenu au jeune messager : quelques petites griffes, peut-être de chat, une fiole remplie d’un liquide clair et un caillou apparemment banal.

— Bon, tu as vu, il n’y a rien d’intéressant à voler, reprit le Requin.

— Je ne vole pas, moi ! se défendit l’enfant.

— Bien sûr que non, ricana le pirate. Tu es un brave garçon, n’est-ce pas ? Très bien, tu connais un certain Wulfgar ? Ce grand type aux cheveux blonds qui tapait les gens pour le compte d’Arumn, au Coutelas ?

L’enfant hocha la tête.

— Et tu connais son ami ?

— Morik le Rogue. Tout le monde connaît Morik.

— Parfait. Ils sont sur les quais, ou entre là-bas et ici, il me semble. Je veux que tu les trouves et que tu donnes ça à Morik. Dis-leur que le capitaine Deudermont cherche à les rencontrer devant Le Coutelas. À propos d’un gros marteau. Tu t’en souviendras ? (Le garçon afficha un sourire narquois, comme si cette question était ridicule.) Et tu vas le faire, c’est sûr ?

Le Requin sortit de sa poche une pièce d’argent, la tendit au garçon, mais se ravisa et replongea la main dans sa poche, d’où il sortit plusieurs pièces d’argent scintillantes.

— Dis à tes amis de chercher partout dans Luskan, reprit-il en offrant les pièces à l’enfant aux yeux écarquillés. Je te promets que tu en auras d’autres si tu fais venir Wulfgar et Morik au Coutelas.

Sans laisser au pirate le temps de prononcer un mot de plus, l’enfant s’empara des pièces et disparut dans la ruelle.

Le Requin souriait quand il rejoignit Tia-nicknick, quelques instants plus tard ; aidé du vaste réseau des habitants de la rue, le jeune messager accomplirait rapidement cette mission.

— Il attend, dit Tia-nicknick en désignant Deudermont, qui sirotait un verre de vin, appuyé sur le bar.

— C’est un homme patient, dit le Requin, qui laissa échapper son sourire vert et jaune, tout en dents. Mais je pense qu’il se hâterait un peu plus s’il savait combien de temps il lui reste à vivre.

D’un geste, il poussa son compagnon à sortir du Coutelas. Ils dénichèrent sans tarder un toit peu élevé et suffisamment bien situé pour leur offrir une vue parfaite sur la porte d’entrée de la taverne.

Tia-nicknick sortit un long tube creux de sa tunique, puis, de sa poche, une griffe de chat attachée à quelques plumes. Il s’agenouilla et, avec des gestes lents et prudents, il tourna la main droite paume vers le haut. La griffe dans la main gauche, il appuya sur un petit sachet dissimulé sur le bracelet qu’il portait au poignet droit. Lentement, très lentement, le brutal demi-qullan tatoué accentua la pression, jusqu’au moment où le sachet s’ouvrit et déversa une substance sirupeuse aux allures de mélasse. Quand une bonne partie du liquide versé eut imprégné le bout de la griffe, il plaça le projectile à l’extrémité de sa sarbacane.

— Tia-nicknick aussi homme patient, dit-il avec un sourire mauvais.

L'Épine Dorsale du Monde
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